Un soldat américain tué à Besançon

Le Petit Comtois du 22 janvier 1919

L’affaire vue par les trois journaux locaux

Il a déjà été souligné combien le déplacement de troupes importantes pouvait causer de troubles de toute sorte à Besançon comme ailleurs. Les Américains, en nombre au camp du Valdahon et dans des chantiers forestiers proches, venaient se distraire à Besançon.

Ils furent souvent victimes d’abus de la part de commerçants malhonnêtes profitant de leur méconnaissance des prix locaux et de la monnaie française, mais ils purent aussi causer eux-mêmes des bagarres, l’alcool aidant. À Besançon, les rues où la prostitution était la plus pratiquée n’attendirent pas 1918 et la venue de ces troupes étrangères pour connaître une activité et une agitation recrudescentes dans cette ville de garnison, mais l’insécurité a pu s’y aggraver.

L’affaire du lundi 20 janvier 1919 en est une illustration. Elle se déroule rue de Sachot (actuelle rue du Séchal), dans le haut du quartier Charmont-Battant, connue pour ses maisons de tolérance. Les constructions de cette époque ont quasiment toutes disparues et la rue elle-même a été modifiée par des opérations de rénovation.

Des numéros de grande taille étaient peints au-dessus des portes des maisons closes. Sur cette carte postale de 1912-1920 (vue intégrale dans memoirevive.besancon.fr), on distingue le n°7, lieu du drame, là où une jeune femme sort à peine sa tête de la porte d’entrée. Depuis le XIXe siècle, cette rue était vouée à la prostitution. La mauvaise réputation du quartier Battant, jusque-là quartier populaire, mais peu dénigré, s’est dégradée avec ces quatre années de guerre comme l’a montré le billet en rapport avec le Petit Comtois du 1er août 1917.

On ne connut pas exactement les circonstances de la rixe sanglante qui se termina par la mort d’un soldat américain. Seule la version du couple mis en cause dans la mort de cet homme a pu être recueillie par la police. Il n’y eut pas d’autres témoins que les trois protagonistes. L’Américain aurait menacé la tenancière du bordel et son mari, appelé à la rescousse, aurait tiré un coup de revolver sur l’homme, le croyant armé. Or, le soldat américain n’avait aucune arme sur lui. La légitime défense paraissait peu défendable.

La police militaire américaine fut la première sur les lieux et s’empara du tireur pour le déposer au commissariat de la Madeleine. Puis elle emporta le corps du soldat. Le Parquet, informé tardivement, ne put faire les constatations d’usage que le lendemain matin, ne recueillant que les témoignages des tenanciers, faute d’autres témoins. Le suspect fut écroué à la prison de la Butte. Jugé le 8 avril, il sera reconnu coupable et condamné à huit ans de travaux forcés.

Les journaux fournissent le même genre de résumé, mais l’Éclair Comtois a une expression malheureuse en désignant ce drame par le qualificatif banal, comme si le meurtre était l’ordinaire de cette rue et de ses maisons closes. Doit-on voir dans ces mots, la volonté du journal catholique d’accentuer la mauvaise réputation de ces lieux en effrayant le lecteur qui pourrait être tenté de les fréquenter ? 
Peut-être, mais ce journal prit soin de suivre l’affaire et le 28 janvier, il informait ses lecteurs de ses suites. L’instruction se révéla désavantageuse pour le suspect.

Dans la Dépêche Républicaine, on lit quelques détails supplémentaires et surtout on trouve le nom de la victime : William CARTER.

Avec les archives américaines et grâce à l’intervention généreuse et qualifiée d’Eric MANSUY, des renseignements précis permettent de mieux l’identifier.
Sa tombe est au grand cimetière national d’Arlington en Virginie. Après avoir été enterré au camp du Valdahon, sa dépouille avait quitté la France par Bordeaux pour arriver à Hoboken, près de New York, le 1er mai 1921 avant d’être inhumée en juin à Arlington.

La stèle n’indique pas de date de naissance, mais celle de décès concorde bien avec le triste événement de la rue de Sachot, le 20 janvier 1919. Sa fiche de décès indique qu’il a été tué par un civil français.
CARTER avait été soldat dans l’artillerie de campagne.
Avec l’aide de   (Lucie Aubert), on peut encore préciser qu’il était né le 21 octobre 1894 et habitait Morristown, dans le Tennessee. Avant son recrutement en juin 1917, il était marié et exerçait le métier d’ouvrier agricole. 

 

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