La 1ère guerre mondiale, « excellent professeur de géographie »

Le Petit Comtois du 14 août 1918

Cet extrait de la tribune du Petit Comtois du 14 août 1918 comporte cette vérité forte : la guerre mondiale aura ouvert les lecteurs de journaux sur le monde et sa géographie autant ou plus que, précédemment, la colonisation, les migrations outre Atlantique ou la première mondialisation commerciale et financière.

C’est comme si l’on inversait la phrase retentissante de l’essai du géographe Yves Lacoste paru en 1976,  La géographie, ça sert d’abord à faire la guerre par celle-ci : la guerre ça sert à faire de la géographie.

Le XIXe  siècle et plus particulièrement ses dernières décennies avait déjà vulgarisé la connaissance du monde. En Allemagne, les géographes Ritter, Humboldt puis Ratzel donnèrent à la géographie sa place à l’Université et leur œuvre toucha petit à petit un public élargi. En France, Vidal de la Blache en fit une discipline scolaire. Elisée Reclus, par ses engagements anarchistes, ne toucha qu’un réseau de lecteurs restreint mais pas seulement français. Et avec l’empire colonial, l’enseignement primaire en France eut sa géographie des colonies et ouvrit l’esprit et le rêve de tous les petits écoliers sur l’Afrique et l’Asie.

Avec les reportages déjà nombreux et remarquables, certains feuilletons quotidiens dans les journaux et puis des romans (le Dernier des mohicans, le Tour du Monde en quatre-vingt jours, ou encore l’Appel de la forêt et Croc-Blanc, traduits en 1905-1906, ou l’œuvre de Rudyard Kipling…), avec l’immigration vers l’Amérique du Nord et les dominions anglais, avec les déplacements vers les colonies et les progrès de la navigation comme du chemin de fer, la connaissance géographique du monde se vulgarisa.

Mais qu’en est-il de cette tribune du 14 août 1918 ?  Jean Bouchot, enseignant le français à Helsinki où il est installé et marié à une Finlandaise, déjà sollicité par le Petit Comtois en 1917 pour sa connaissance de ce pays et du voisin russe, en assure le contenu.
En cet été 1918, la Finlande nouvellement indépendante est en proie aux violences révolutionnaires qui débordent depuis la Russie voisine. Et elle est prête à demander l’aide de l’Allemagne pour sauvegarder cette indépendance récemment acquise face à la Russie. Aussi, la presse plus ou bien informée voit déjà les Finlandais dans l’orbite de l’Allemagne et surtout la côte mourmane échapper à la liberté de navigation dont profitent les alliés. Bouchot dément avec sa connaissance du pays et de son histoire.

C’est donc cette côte mourmane qui est l’objet d’une leçon de géographie.

Elle a la particularité de border l’Océan Arctique qui ne gèle pas sur sa frange côtière. Sa position en latitude est cependant au-delà du cercle polaire. La Dérive nord-atlantique, ce prolongement du courant chaud qu’est le Gulf Stream, explique cette anomalie. Le courant de Norvège en est le bras le plus septentrional et baigne ainsi ces côtes froides sans que la mer y soit prise par la glace, ou très brièvement.

Sur cette côte, le port de Mourmansk  a justement été fondé en 1915 pour l’approvisionnement des Russes par leurs alliés dans leur guerre contre les Allemands et Autrichiens, aucun commerce ne pouvant se faire entre eux par la Baltique ou la Mer Noire.

En cet été 1918, elle présente encore un intérêt tout particulier pour les alliés qui soutiennent les Russes blancs en débarquant à Arkhangelsk.  Le contingent est composé de forces américaines, britanniques, françaises, serbes et polonaises.

L’occupation de cette ville stratégique commence le 2 août 1918. Les combats contre les troupes bolcheviques seront importants jusqu’en novembre 1918 sans donner un avantage aux Blancs et à leurs alliés. L’hiver bloquera largement l’activité guerrière et les dernières actions auront lieu en mars-avril 1919 avant le rapatriement des troupes alliées.

Les autres interventions de troupes françaises se firent en Russie méridionale et en Sibérie orientale.

Pendant plus de quatre années; les lecteurs de journaux s’informèrent des événements de chacun des fronts, balkanique, franco-belge, russe – front Est et front caucasien –, arabe égyptien, palestinien et mésopotamien. Des cartes agrémentaient et précisaient parfois leur lecture. Et puis il y eut l’intervention japonaise, américaine, les apports coloniaux d’Afrique,  d’Asie et de Chine…

Peu de pays du monde évitèrent l’implication directe ou indirecte dans ce conflit. Pour qui voulait dresser la carte des lieux de combat et des participations diverses à cette guerre, le monde entier s’ouvrait à lui.

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