Le Petit Comtois du 22 février 1916 p.3
Alors que Verdun subit les premiers assauts allemands, en plusieurs points du front l’artillerie de l’ennemi fait diversion.
Belfort ne reçoit pas d’attaque sérieuse, mais depuis quelques jours des tirs de gros calibres inquiètent la population et les forces armées. Le Petit Comtois du 25 février écrivait même, en page 3 : « on croit de plus en plus à une offensive allemande du côté de la trouée des Vosges ».
Pour rappeler l’importance de cette place forte durant ce conflit et dans l’histoire récente, Émile Hinzelin en fait une présentation dans le Petit Comtois du 22 février 1916. Hinzelin est alors journaliste et se consacre aussi à une monumentale histoire de la Grande Guerre : Histoire illustrée de la Guerre du Droit, Librairie Aristide Quillet, 1916, 3 tomes
Adapté à l’actualité de la guerre au début de 1916, ce récit patriotique et propagandiste, mais non dénué de véracité, est nourri de références historiques. Il donne l’impression d’avoir été fait sur commande afin de préparer la population et la garnison à une attaque en l’encourageant à un comportement héroïque comme en 1870-1871.
« … Belfort est un beau fort que l’ennemi ne prend pas. Cette noble cité dont Vauban avait fait une forteresse de premier ordre pour couvrir le passage entre les Vosges et le Jura, a toujours, dans tous les drames sanglants qui se sont joués sur le sol français, tenu jusqu’au bout son rôle de sentinelle sans peur et sans reproche.
En 1870, Denfert-Rochereau, qui commandait à Belfort, n’avait sous ses ordres que 17 000 hommes, dont 3000 seulement soldats de ligne ; les autres étaient pour la plupart des gardes-mobiles et des gardes nationaux. Il résista à l’armée et à l’artillerie énorme de Treskow. Dans la ville investie, on souffrait, on mourait stoïquement. La Suisse qui assistait, frémissante de sympathie fraternelle, à ce poignant spectacle, demanda l’autorisation d’emmener à Porrentruy les enfatns, les femmes, les vieillards de la ville assiégée. Le général allemand refusa.
L’armistice du 28 janvier suspendait les opérations militaires dans le Nord et sur la Loire. L’Est de la France fut excepté de cet armistice. Les batteries de Treskow continuèrent à accabler Belfort d’une pluie de feu et de fer. Belfort ne se rendit pas. Il n’ouvrit ses portes que sur un ordre signé de la République française, le 16 février 1871. La garnison sortit avec ses drapeaux, ses armes, ses bagages, librement.
L’histoire du dernier siège se résume en ces chiffres : 105 jours d’investissement, 73 jours de bombardement continuel, 411 000 obus de tout calibre lancés sur la place, 4 700 soldats tués, 300 civils atteints.
La position de Belfort est une des plus importantes du monde. Le vallon, avec son camp retranché, reste entièrement couvert par la citadelle, le château, les forts de la Justice et de la Miotte.La vieille ceinture de fortifications a été remplacée, depuis 1870, par des travaux au fort de Bellevue, à ceux des Hautes et Basses Perches, et par un ensemble de forts éloignés dont nous ne voulons rien dire aujourd’hui. Belfort garde la route qui réunit L’Europe centrale à la France, à l’Angleterre, à l’Océan, bonne pour le commerce, non moins bonne pour l’invasion. Rempart de la Franche-Comté et du Jura, c’est aussi le point de départ de l’offensive en Alsace.
La garnison de Belfort, en 1914, était la brigade de Rome (35e et 42e régiments de ligne). On l’appelait « brigade des drapeaux » parce que, en 1870, ayant quitté les États pontificaux pour la France, elle était la seule, après les désastres de Sedan et de Metz, à qui ses drapeaux fussent restés.
Belfort avait en 1870, 8 400 habitants. Il en a maintenant plus de 34 000. Les Alsaciens sont venus en masse s’établir dans ce coin de l’Alsace conservé à la France. entre la gare où aboutit un faubourg industriel prolongé jusqu’aux montagnes, et la ville dominée par son château pareil à une farouche Acropole, coule une mince et frémissante rivière, laquelle porte un des plus jolis noms que l’on puisse rêver : la Savoureuse.
Ineffaçable dans l’esprit du voyageur, la vision du château construit à même le rocher, architecture rigide et sobre, d’une logique, d’une simplicité hautaine ! À quelques pas, dans une tourelle, voici la chambre où, pendant le siège, travaillait le colonel Denfert-Rochereau. C’est là qu’il a médité ses plans, dormi ses courts sommeils, au tumulte du canon, au bruit de la France en armes.
Tous les regards suivent la ligne de remparts. Elle les amène au sommet de la colline, jusqu’à une tour quadrangulaire, campée dans sa mystérieuse solitude. C’est la Miotte. Gracieux paladium de Belfort ! Les Belfortains se sont toujours réclamés d’elle. Ils se sont jadis proclamés les Miottains. Choisie pour cible par l’armée allemande en 1870, mutilée et chancelante, elle demeura debout, étayée sur des pièces de bois. Le jour où finit l’occupation , en juillet 1873, les ennemis retirèrent les poutres et la Miotte croula. Mais, sur les antiques fondements, une nouvelle tour s’est élevée, où l’âme ancienne subsiste, toujours prête.
Dans la vieille ville, les maison aux muraille épaisses, aux toits pointus, aux fenêtres et aux portes cintrées, aux larges volets de chêne,sont faits pour se mettre tout de suite sur le pied de guerre.
À une maison de la place d’armes, une plaque nous avertit que : « de 1786 à 1792, Kléber a habité ici ». Kléber était architecte à Belfort. C’est de Belfort qu’il est parti comme volontaire.
L’église Saint-Christophe, vraie cathédrale de guerre, dresse ses deux tours carrées et trapues. Elle a reçu, en 1871, plus de deux milles projectiles. Tandis qu’elle s’offrait aux obus en rédemptrice, ses caveaux abritaient les habitants. À son ombre, le groupe de Mercié Quand même! nous rappelle l’Alsace, jamais résignée, prompte à rendre l’énergie à ceux qui s’abandonnent.
Au pied du rocher à pic surplombant la forteresse s’étend le lion de Barholdi, vingt-trois mètres de long, seize de haut. Blessé, furieux et superbe, il regarde par-dessus l’Alsace, vers l’Allemagne. Sa substance, c’est la généreuse pierre du pays lorrain. Fraîche comme de la chaire, l’ouragan et la pluie la rendent rouge comme du sang. Ce lion qui arrache l’épieu dont il est traversé, se raidit et se soulève, déjà guéri. Un petit soldat gravit de son pas allègre le chemin abrupt et rocailleux qui, de la ville, monte vers la colline. En lui adressant notre salut, nous apercevons un poteau planté sur le talus et nous y lisons avec un sourire : Chemin du Lion.
Belfort est bien la forteresse d’avant-garde, toujours sur le qui-vive. Il nous fait songer au Mont Saint-Michel. On disait : Saint-Michel au Péril-des-Flots. Belfort de la Légion d’honneur, battu si souvent par l’invasion, jamais vaincu, jamais submergé, c’est Belfort au Péril-de-la-Terre. Dès le début de la guerre, les Allemands annonçaient que Belfort était pris. En réalité, ils n’ont même pas pu avancer d’un pas dans sa direction. Au contraire, leur frontirer factice de 1871 a reculé. Dannemarie, Massevaux, Thann sont aux Français, en attendant le reste du Haut-Rhin dont la ville du Lion est la plus haute cité.»
Émile HINZELIN