Andrée Viollis. 1913

Le blog Gallica m’a permis cette découverte… comme beaucoup d’autres.
Paru en 1913 et accessible depuis le début de l’année sur Gallica, la lecture de Criquet m’a réjoui. Et j’adhère pleinement à ce qu’a écrit l’équipe Gallica: « […], Criquet, œuvre féministe qui surprendra les lecteurs d’aujourd’hui par l’acuité avec laquelle y sont décryptés les rapports de genre« .
L’ouvrage est désormais libre de droits.
Non pas que le style soit celui que je goûte le plus, ni que le récit délivre une aventure palpitante ou pleine de suspens, mais on y trouve la vie d’une adolescente la plus heureuse qui soit. Et ce bonheur, par les temps qui courent, se côtoie avec ravissement. Nul besoin d’aventures extraordinaires, de pensées profondes, d’actualités brûlantes ou de science-fiction pour être emporté et enchanté par un écrit.
Appartenir à un milieu bourgeois où l’on prend des vacances d’été dans une propriété sur une petite île de Normandie (imaginée), où les enfants ont une gouvernante, institutrice anglaise, et les adultes sont servis par du personnel, tout cela offrait sans nul doute des avantages plaisants et contribuait au bonheur, même inconsciemment, de la jeune Camille. Et, en début de l’été, Criquet (Camille), 14 ans, continue à vivre comme une fillette ou plutôt comme un garçon manqué, détestant les poupées, la couture ou les leçons de piano. Elle ignore que c’est son dernier été de jeux enfantins. A travers eux, l’auteure me fait retrouver ces observations, distractions et amusements tirés de la nature environnante (insectes, fleurs, cabanes, pêche …) ou des complicités de groupe qui occupaient encore un enfant dans les années 1950. Et l’on peut s’abandonner à ces sensations de bien-être langoureux autrefois ressenti ou regretter la vivacité de l’action ludique caractéristique de ce jeune âge.
Mais le temps passe et Criquet prend conscience des changements de son corps, des seins qui grossissent, de la taille qui s’affine, mais aussi de lourdeurs inhabituelles. Or, elle refuse ce changement, ne voulant pas devenir femme, percevant trop bien les libertés dont bénéficient les hommes et non la gent féminine. Elle refuse de quitter ses culottes de garçon et s’impose alors des contraintes physiques pour dissimuler sa féminité naissante. Il est vrai que les femmes qui l’entourent ne l’inclinent guère à les imiter ; ainsi sa tante, forte femme tonitruante, sa mère, toujours souffrante, souvent couchée, l’engagent contre leur gré à préférer son père rassurant et encore dynamique et entreprenant.
Imperceptiblement, elle voit son cousin Michel, compagnon de jeux depuis la plus petite enfance, s’éloigner d’elle pour tourner autour de jeunes filles plus formées et se comporter comme un jeune homme à la recherche d’expériences amoureuses. C’est en l’observant qu’elle découvre les désirs masculins.
De retour à Paris, l’automne et l’hiver suivants, elle entre avec réticence dans la société des jeunes bourgeois, avec bals, rencontres surveillées, promenades au parc. Mais elle passe aussi à l’âge adulte confrontée à la mort de son père. Et cette dure expérience la mûrit. Elle finit par accepter sa condition de femme.

L’œuvre ne plaira pas à tout le monde. Elle date indubitablement. Plus de cent ans nous séparent de cette société de la Belle Epoque, où les tabous sur la sexualité et les certitudes sur le genre étaient tels que l’on pourra trouver un manque de réalisme à ce texte qui aborde pourtant le thème de l’adolescence, âge si troublé, celui des premières règles d’une fillette qui ne le sera bientôt plus ou encore les comportements conquérants et mesquins des hommes vis-à-vis des femmes…
L’auteure réussit à parler de tout de façon plus ou moins directe, avec pudeur, mais franchise.
Et puis, Andrée Viollis mérite d’être connue. Je ne l’ai découverte que récemment dans une bande dessinée en deux tomes, Forçats, de Bedouel et Perna, éditions les Arènes 2016, reprenant le récit d’Albert Londres sur Cayenne, Au Bagne, reportage de 1923. J’ai compris quelle femme audacieuse elle était pour l’époque, et sa célébrité comme grand reporteur mérite d’égaler celle de son collègue masculin.