« Si je reviens un jour »

Les lettres retrouvées de Louise Pikovsky

Une fois n’est pas coutume. Laissons les journaux locaux de Besançon pour parler d’une bande dessinée parue en mars et dont la promotion et la diffusion ont été ralenties par le confinement lié au covid-19. Reçue hier par la Poste, après une deuxième commande à la librairie « l’Intranquille », elle m’inspire ces quelques lignes.

Il y eut le webdocumentaire sur France24, une merveille de rigueur, de simplicité et de fluidité. Un document d’une vraie richesse méthodologique, exemplaire pour le devoir de mémoire.

…et puis, depuis mars, il y a la BD.  
Avec Khalida Hatchy, Stéphanie Trouillard avait mené une enquête minutieuse et déterminée pour faire revivre cette jeune fille, Louise Pikovsky, dans le webdoc précité. Avec Thibaut Lambert comme dessinateur  et coloriste, Stéphanie a rédigé le scénario de la BD.
Avec le dossier reproduisant des documents d’époque, c’est plus de 100 pages pour restituer habilement et pédagogiquement l’histoire de Louise, cette autre Anne Franck, et de ses lettres.

De l’émotion sans excès de pathos dans ce récit qui tire sa force de la simplicité, tant du texte que des dessins.
 Il se dégage de cette histoire, une impression de sérieux, de drame et de gaieté mêlés, une impression de vie alors que le récit conduit à la mort. Et c’est une réussite d’aborder ainsi la Shoah. La transposition par le dessinateur contribue à ce ressenti comme le scénario qui inclut au début et au final des épisodes récents sur ces lettres « retrouvées » au lycée Jean de La Fontaine, ne limitant pas ainsi l’histoire à la fin de Louise et de sa famille.

Pour ces heures sombres de 1940-1944, les couleurs d’arrière-plan utilisent les bruns et les gris. Mais, par contraste, les personnages ont des vêtements aux teintes vives, égayant les cases et leur donnant la vitalité qui émane de Louise pleine d’optimisme malgré les doutes et les inquiétudes d’une réflexion mature. Elle porte une robe verte à pois blancs ; ce vêtement éclaire d’espérance ce qui pourrait n’être que pleurs, chagrins ou révolte, même dans le pire moment de l’arrestation.
Lambert introduit même un clin d’oeil à l’oeuvre d’Hergé avec une boucherie Sanzot en page 18. On sent le parti pris de ne pas être larmoyant.

Le scénario comme les dessins ne s’écartent guère des faits vérifiés. La dose d’imagination, inévitable pour une BD, se limite à peu de choses.
Des extraits des lettres de Louise accompagnent plus d’une planche, collant ainsi aux sources. Comme la citation de cette lettre du 9 septembre 1943 dans laquelle Louise évoque un homme qui avait perdu ses biens et dont les filles avaient été emmenées en esclavage : « On ne m’a pas pris ma richesse, car ma richesse est en moi. »
Melle Malingrey, la professeure à qui Louise adressait ce courrier, a toute sa place dans le récit, comme certains témoins directs ou indirects retrouvés par les chercheuses.

Les données historiques permettant de comprendre le contexte sont suffisantes et la sobriété du texte ne s’encombre pas d’explications, offrant facilité de lecture pour tout public et surtout les plus jeunes. Ainsi, l’épisode de l’arrestation du père de Louise, reclus à Drancy puis libéré peut paraître inexplicable. Le webdoc est alors utile pour comprendre ce fait inhabituel.

 D’une famille juive ukrainienne installée en France depuis 1905, naturalisée française par la suite, la petite Louise avait 11 ans quand elle entra au lycée en 1939. Et c’est à 16 ans, le 22 janvier 1944 qu’elle est arrêtée avec toute sa famille, internée à Drancy, avant d’être déportée à Auschwitz où elle et les siens finissent dans une chambre à gaz, le 6 février. Les lettres de Louise, fondement de cette recherche, étaient adressées à sa professeure de latin-grec, Melle Malingrey qui les confia au Lycée Jean de La Fontaine en 1988.

Le webdoc décortique le travail des chercheuses et satisfait la curiosité du lecteur, la BD ajoute une touche de vécu et de sensibilité rendant cette histoire plus accessible à de jeunes lecteurs.

Une remarque sur le produit : un papier épais, robuste, une excellente reliure, conçue pour résister à des lectures répétées.
Cette BD a toute sa place dans un CDI. Des Ronds dans l’O ont voulu un livre soigné.

2 commentaires sur “« Si je reviens un jour »

  1. Bel hommage ! J’avais commandé la BD et allais la recevoir pour mes lycéens quand nous avons été confinés ! J’avoue avoir été quelque peu frustrée mais ce n’est que partie remise !

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    1. J’ai commandé en ligne au début du confinement. Commande annulée et vente en ligne interrompue par ma librairie habituelle. Celle-ci a repris une vente en ligne sur son stock la semaine dernière et j’ai été servi assez vite par la Poste (6 jours quand même avec un weekend compris)

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