Éclair Comtois du 26 septembre 1918
Ingénieur, ayant travaillé en Allemagne dans la chimie, Victor CAMBON a déjà publié des essais bien informés et comparatifs sur l’Allemagne et la France, sur le taylorisme et les États-Unis qu’il admire…
En 1918, il publie chez Payot, Où allons-nous ?, un nouvel essai assez pessimiste sur l’avenir de la France si l’on en croit une recension des Nouvelles de France d’octobre 1918 (Gallica.Bnf). Selon lui, le pays ne se relèverait pas de la catastrophe de la Grande Guerre si les classes dirigeantes ne réagissaient pas, au risque de l’installation d’un socialisme d’origine allemande. Il ne voit de salut que dans le modèle et l’aide américaine.
L’Éclair Comtois, ce 26 septembre 1918, se livre aussi à un compte-rendu élogieux de cet ouvrage avec de longues citations reproduites ici. Et l’on comprend cet éloge quand on découvre le rapprochement fait entre les difficultés françaises et le régime républicain. La rédaction de ce journal n’a jamais totalement accepté la République. Elle ne l’a fait que contre son gré.
Mais d’abord, sur le constat d’une crise d’après-guerre, Cambon ne manque pas le principal. Il en fixe l’origine dans les inégalités accrues entre Français. Entre ceux qui ont une situation avantageuse basée sur le pouvoir et/ou la richesse et ceux qui souffrent de manques et d’efforts non récompensés, mais aussi entre ceux qui ont payé de leur sang et de leur santé la victoire et ceux qui paraissent avoir été planqués, qui plus est parfois enrichis.
Cette crise, il la voit se manifester dans des troubles sociaux et politiques. Les premiers ont pris de l’ampleur depuis 1917, année où les grèves se sont multipliées, où les grognements de mécontentement n’ont cessé. La poigne de Clemenceau a repoussé la crise politique, mais celle-ci est envisageable après son gouvernement et la paix revenue avec la victoire. Et l’union sacrée n’a bientôt plus de raison d’être avec la fin de la guerre.
Le journal, conservateur et nostalgique de la monarchie, se réjouit de rendre responsable des problèmes, la République. Il y ajoute sa touche moralisatrice en citant le bistro qui tue la santé et l’intelligence de la race. Bien sûr, il n’oublie pas de citer les fonctionnaires, si souvent décriés dans la presse de droite comme de gauche.
Mais l’antiparlementarisme et l’antisocialisme de l’Éclair Comtois éclatent dans la deuxième colonne de ce compte-rendu. Ajoutant aux propos de Cambon sa haine des députés socialistes rendus responsables de tous les maux de la France, le journal explique qu’on leur doit le retard industriel du pays, et l’échec militaire de 1914 en raison de leur pacifisme.
Alors que Cambon s’en prend à l’ensemble des classes dirigeantes, l’Éclair Comtois oriente son courroux contre les députés socialistes. Il ajoute cependant une condamnation large à l’encontre de ceux qui possèdent une grosse fortune et/ou qui sont bien-nés : leur lâcheté à ne pas s’imposer face aux révolutionnaires socialistes, vouant à la décadence ces puissants. A l’égard de la question posée par Cambon sur ce qui sortira de la crise d’après-guerre (cf. extrait plus haut : en sortira-t-il une généralisation des idées démocratiques ou des césarismes dictatoriaux ?), on comprend ce que souhaite la rédaction de ce journal quand elle écrit : le chef doit commander. Et, pour elle, le chef est celui qui possède ou qui est bien-né et, s’il faillit, il peut provenir d’un autre milieu.
À la question historique de l’existence d’un fascisme français dans l’entre-deux-guerres, on trouve des éléments de réponse dans ces écrits.
L’état d’esprit qui se développe en cette fin de guerre chez certains Français annonce un fascisme qui trouve ses fondements dans l’extrême droite d’alors, nationaliste et conservatrice, maurrassienne, déçue des élites traditionnelles et ajoutant des idées sociales à ses idées conservatrices.