Le Petit Comtois du 4 février 1916
On retrouve la signature de jean Valjean dans cette tribune du Petit Comtois. Avant la guerre, un rédacteur avait ainsi paraphé de nombreux articles. Est-ce Jules Gros, le directeur ?
Sachant que de nombreux hommes en âge de travailler sont alors sous les drapeaux, il s’adresse aux autres qui pour des raisons d’âge ou de réforme ne peuvent être à l’armée. Et il s’alarme du manque d’actifs dont souffrira le pays, après-guerre, manque aggravé par les effets mortifères du conflit. Il parle bien d’aggravation, n’ignorant pas que le problème existait dans la période bientôt appelée la Belle Époque, c’est-à-dire depuis la fin du XIXe siècle jusqu’au début du conflit.
Mais alors, il ne fait aucune référence aux solutions qui avaient été adoptées, à savoir le recours à des immigrés, surtout belges et italiens venus du Nord de la péninsule (Piémont, Lombardie, Émilie-Romagne, Val d’Aoste). Est-ce pour ne pas inquiéter une population déjà xénophobe et qui avait montré son hostilité à plusieurs reprises et de façon extrême ?
Au printemps 1890, Besançon avait connu une agitation grave. Des ouvriers italiens employés à la construction de la papeterie des Prés-de-Vaux avaient été malmenés jusqu’à ce qu’ils soient exclus du chantier. Et cela se passait trois ans avant les violents mouvements d’Aigues-Mortes. En avril 1914, le Petit Comtois rappelait encore la xénophobie ambiante (billet du 29 avril 1914)
En 1916, le problème de main d’œuvre est d’abord dans l’agriculture. Les paysans sous les drapeaux forment bien la catégorie professionnelle la plus affectée par l’incorporation alors que dans le monde ouvrier, un certain nombre de rappels ont été faits afin de faire tourner les indispensables usines d’armement et d’équipements de toute sorte.
Mais encore une fois, le rédacteur néglige de rappeler combien les femmes suppléent ce manque autant que faire se peut. Et, plus loin, on est surpris de ne pas trouver de propositions, entre autres celle du travail des femmes, et pas seulement dans l’agriculture. De la même manière, il n’écrit pas un mot sur la main d’œuvre issue des colonies et aussi de Chine pendant la guerre elle-même. Et pourtant, trois jours après, le Petit Comtois publiait une annonce de la Chambre de Commerce du Doubs présentant précisément ce recours à la main d’oeuvre arabe et annamite.
Conscient qu’après guerre les actifs manquants ne seront pas seulement les morts, mais aussi les blessés, les infirmes, les mutilés, Valjean donne une bonne définition des pertes humaines dans ce conflit.
La France, puisqu’il ne parle que d’elle, aura perdu près de 4 millions d’actifs. Bien sûr, des blessés ou infirmes sont encore en état de produire, et on commence à les former à des tâches adaptées à leur handicap, mais ils ne peuvent fournir la même activité qu’un bien-portant.
Ne voulant pas parler d’une immigration nécessaire – celle des années 1920 sera la deuxième grande vague d’immigration en France – Jean Valjean reste dans le discours nationaliste en estimant que la France devra s’imposer sur les marchés perdus par les Allemands et leurs alliés
Le Petit Comtois s’autocensure donc en évitant les sujets qui fâchent, ici l’immigration ou le travail des femmes. Le premier parce qu’il ne souhaite pas réveiller la xénophobie d’une partie de son lectorat, le second parce qu’il pense que l’emploi féminin, pourtant déjà important avant-guerre, devrait retrouver sa place antérieure… une place limitée et hors responsabilité.