Taubes et Aviatiks au-dessus de Belfort

Divers extraits de l’Éclair Comtois  et du Petit Comtois de juin à septembre 191513_09 indifférence

On peut donc lire ce 13 septembre 1915 que la population de Belfort ne manifeste aucun mouvement de panique ou de crainte au survol de la place forte par un Aviatik. Cette indifférence venait-elle de la fréquence de ces survols devenus banals, et de l’inefficacité des bombardements ? Ou est-ce seulement une forme de propagande dissimulant des peurs bien réelles?

La lecture quotidienne de l’Éclair Comtois et du Petit Comtois sur quatre mois, de juin à septembre 1915, permet de comprendre combien Belfort était régulièrement menacé. Faut-il rappeler la situation clé de cette place fortifiée ? Cette carte allemande (ci-dessous) la valorise en marquant le nombre des forts qui la protègent par des signes rouges (extraite de Gallica Bnf). Un billet du 24 octobre 2014 présentait la place de Belfort.carte allemande

À moins de 15 km de la frontière alsacienne allemande, et moins de 40 km de Mulhouse, fermant le passage entre Vosges et Jura, la position stratégique de la ville en faisait un objectif inévitable, même si l’on sait aujourd’hui que les Allemands n’ont jamais engagé d’importantes tentatives de pénétration par cette Porte d’Alsace.

8 juin 1915Depuis juin 1915, on peut comptabiliser un survol ou plusieurs par semaine. La réplique pouvait être double ; d’abord celle de l’artillerie de plus en plus adaptée à cette menace ; ensuite la réponse à l’identique avec décollage d’avions de la base belfortaine, celle-là même qui vit le 31 août décoller l’aviateur Pégoud pour se porter au-devant d’un Aviatik qui menaçait la place, avant d’être abattu.

Dans un article du 2 février, l’escadrille de la ville s’illustrait par la destruction d’un aérostat allemand. La localisation de la base, au Champ de Mars, immédiatement au Nord de la Citadelle, permettait une réaction rapide, mais il était rare que les avions aient le temps de rejoindre les aéroplanes ennemis si ceux-ci voulaient éviter le combat comme c’était le cas des observateurs.

16 juin 191526 août PCLa fréquence des attaques n’apparaît pas dans l’extrait du Petit Comtois du 16 juin car l’hiver et le printemps précédents avaient connu peu de survols. Mais avec l’été, ils eurent tôt fait de se multiplier. L’annotation du même journal le 26 août en témoigne (cf. ci-dessous)

Jusqu’à l’été 1915, deux types d’appareil menaçaient la ville. Les plus anciens étaient les Taubes, repérés par les Belfortains dès le début de la guerre. Ils ont été présentés dans un billet du 22 septembre 2014. La forme caractéristique de leurs ailes (comme une colombe, die Taube en allemand) les rendait facilement identifiables.

Les Aviatiks provenaient d’une usine d’origine mulhousienne, Automobil und Aviatik AG, installée à Fribourg dès le début de la guerre pour être moins accessible aux bombardements d’avions français. En 1914-1915, Aviatik produit des biplans. Celui-ci (ci-dessous) a été obligé d’atterrir dans le Pas de Calais en 1915. Il est gardé, et examiné par des officiers français.Aviatik 1915 Calais

EC 22 juillet

À partir de l’été 1915, les premiers Fokker allemands apparurent dans le ciel belfortain. Ils montraient une nette supériorité technologique sur les Morane-Saulnier.

Pour revenir sur l’indifférence qu’auraient manifestée les Belfortains à ces survols, il faut lire les annotations des journaux locaux en pensant à la censure ; nul doute que les habitants et militaires étaient nombreux à avoir peur, même si l’efficacité des bombardements était faible lorsqu’il ne s’agissait que d’un ou deux avions. 
10_09 chasse aux taubes
Ainsi, le 10 septembre, (ci-contre) ce sont les propres fragments des obus de défense antiaérienne qui risquaient de blesser les riverains d’une canonnade. Comme quoi les risques existaient même en l’absence de bombardement des avions ennemis.

11_09 hommagesAvec ce dernier extrait, on peut comprendre toute la place qu’occupait l’aviation militaire dans l’esprit des populations et l’hommage rendu à Pégoud par ses adversaires allemands chevaleresques montre que des Belfortains étaient prêts à prendre des morceaux de la couronne funéraire, larguée d’avion, comme souvenirs. Collection, attachement sincère ou but mercantile, toujours est-il que l’intérêt pour l’aviateur et ce qu’il représentait comme prouesse, gloire et patriotisme n’est pas démenti par l’anecdote.

Que l’on ne croie donc pas à la faiblesse des bombardements aériens car déjà d’importants vols d’escadrilles pouvaient pilonner un objectif avec des dizaines d’appareils. Ce fut le cas le 27 mai 1915 quand 18 appareils bombardèrent la Badische Aniline Fabrik de Ludwigshafen et encore fin août quand plus de 60 avions anglais, français et belges ont bombardé la forêt d’Houtlust en Belgique. Et puis le 6 septembre avec un bombardement de Sarrebrück par 40 appareils anglais et français. Les progrès rapides de l’aviation de guerre la rendront encore plus terrible de 1916 à 1918.

Durant toute la guerre les Belfortains furent soumis à la tension que représentaient les risques de bombardement. La ville accueillit diverses escadrilles, mais depuis avril 1915, c’était la MS49 venue de Lyon, équipée d’avions de chasse et de bombardement. Son objectif fut parfois l’usine Aviatik de Fribourg en Brisgau.
Le billet du 12 décembre 2014, « Fribourg-en-Brisgau connaît son premier bombardement, avant de nombreux autres« , a décrit le premier raid aérien sur cette ville depuis Belfort.
Fribourgeois et Belfortains, ennemis voisins, partageaient les même craintes…

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