Le Petit Comtois du 3 août 1915
Un café maure, c’est ainsi que le Petit Comtois nomme un lieu imprécis où se retrouvaient des soldats musulmans appartenant à des régiments levés en Afrique du Nord.
Et ce n’est pas la première fois que ce journal évoque les troupes d’origine africaine.
La presse locale avait assez rapidement rendu hommage aux troupes coloniales. Leur ardeur au combat était soulignée, mais le premier intérêt manifesté à leur égard, dans la presse locale, date de l’automne 1914, quand l’arrivée des temps froids et humides poussa à la compassion pour des hommes souvent habitués à des températures plus clémentes. Surtout, l’éloignement de leur famille, l’impossibilité pour elles de leur faire parvenir des vêtements chauds et d’autres choses utiles, contribua à prendre en considération leur dénuement. Des œuvres comme « le paquet du soldat » qui sollicitaient toutes les bonnes volontés pour mieux équiper et doter les troupes prirent soin d’organiser des envois pour ces combattants venus du Sud.
Par la suite, des articles variés portèrent sur les habitudes de vie et croyances de ces soldats. La plupart étant musulmans, l’Islam retint l’attention de rédacteurs. C’est ainsi que le premier ramadan du temps de guerre fit l’objet d’articles respectueux, mais fut aussi utilisé pour mieux raviver la querelle entre cléricaux et anticléricaux. Ainsi, l’Éclair Comtois du 19 juillet 1915, se fit-il compréhensif envers le jeûne de ces soldats musulmans, mais pour mieux réclamer plus d’attention envers la pratique catholique.
Or, elle en bénéficiait déjà et cette demande reflétait plutôt une forme de jalousie pour la bienveillance accordée à l’islam (cf. extrait ci-contre) et une volonté combative en faveur du catholicisme à un moment où la peur de la mort ramenait des croyants dans le giron de l’Église. Stéphanie Trouillart, de France 24, a fort bien résumé l’ambigüité des mesures prise en faveur des soldats musulmans, tant de la part des autorités militaires que des cléricaux.
Mais revenons à ce café maure dont parle le Petit Comtois pour ses lecteurs…
Le café fait l’objet de remarques banales jusqu’à ce que le chroniqueur signale l’existence de fresques. Quelque soldats au goût artistique certain avaient pris soin de peindre les murs avec des sujets rappelant leur pays natal, leur mode de vie, leurs coutumes et traditions.
La description des peintures met en évidence la reconstitution de paysages familiers pour ces soldats, mais aussi l’exotisme qu’ils représentent pour les Français.
L’auteur décrit ainsi la première fresque, un campement arabe, et ajoute une précision culturelle sur l‘interdit des représentations humaines. Dans une autre salle, il présente quatre grandes peintures : un village arabe avec sa fontaine et sa noria, un paysage de l’Atlas avec forteresse, un port avec mosquée et une oasis au bord d’un chott.
Il termine en notant : un peu partout des mains, des mains effilées, bleuies aux poignets et aux ongles ayant sans doute quelques significations coraniques…
Peut-être cette référence au Livre sacré est-elle plausible, mais on peut aussi y voir des mains de femmes, celles que ces hommes ne voient plus et qui ne les touchent plus. Comme pour tous les soldats loin des leurs, la misère affective et sexuelle les affectait.
Par-delà les articles plus ou moins polémiques (cf. supra l’Éclair Comtois) ou ceux qui amplifiaient l’assurance et le courage de ces soldats issus des colonies, le lecteur devait trouver un agrément dépaysant à lire ces lignes sur le café maure.
La presse locale était donc attentive à ces troupes, mais ne se départait pas d’une certaine condescendance propre aux colonisateurs de cette époque.