Le camp de Langensalza …

….et l’épidémie de typhus du printemps 1915

En ce printemps 1915, alors que reprennent des offensives meurtrières sur les différents fronts (Artois, Éparges, Galicie, Dardanelles…), il existe d’autres lieux où meurent en nombre des soldats, ce sont les camps de prisonniers. (cf. carte extraite des Chemins de mémoire)Langensalza carte

Situé en Thuringe, à 50 km au NO d’Erfurt, Langensalza faisait partie d’une myriade d’autres lieux de détentions. Connue pour sa station thermale, les prisonniers ne prirent pas les eaux de Langensalza et ceux qui en revinrent en conservèrent un amer souvenir

Lors de la numérisation des fiches des morts de la première guerre mondiale, sur Mémoire des Hommes, on est frappé par la répétition des morts en captivité entre mars et mai 1915. Ainsi, le camp de Langensalza revient plus d’une quinzaine de fois  rien que  pour des soldats originaires de Besançon ou y ayant été recrutés. Langensalza EC 19_06_15Quand on fait une recherche dans la base d’indexation à partir de ce lieu de décès, 70 soldats de toute origine, sont identifiés. 82% d’entre eux sont morts en ce printemps 1915, entre mars et mai et surtout en avril. La presse locale informe également de ces décès (cf. ci-contre), avec un décalage de temps compréhensible ; c’est le cas pour Duxin Clément (cf. fiche ci-dessous) et Poncet Charles-Arthur, le 19 juin dans l’Éclair Comtois.

Langensalza F typhusLe typhus ou la diphtérie ont sévi dans ce camp comme dans d’autres et, pour les prisonniers, ce fut au printemps 1915 que sévi la plus terrible des épidémies de toute la guerre. L’une et l’autre de ces maladies démontrent le manque d’hygiène, l’affaiblissement des corps affamés… Elles sont parfois signalées sur les fiches de Mémoire des Hommes (cf. ci-contre Duxin Clément mort le 21 mars 1915, une des premières victimes de cette épidémie, les autres ayant succombé surtout en avril). Sinon, les fiches  signalent, sans précision : morts de maladie, mais utilisent aussi l’expression médicale fièvre pétechiale, c’est à dire typhus. L’article de Wikipedia sur cette maladie la rapporte bien aux conditions de ces prisonniers : « Le typhus exanthématique est également appelé « fièvre pétéchiale », et « typhus à poux » ou encore « fièvre des prisons », « fièvre des hôpitaux », « fièvre des bateaux », « fièvre de la famine », parce qu’il se répand lorsque les conditions sanitaires sont mauvaises et que la population est très dense, comme dans les prisons et à bord des bateaux. Il est ainsi nommé parce que la maladie survient souvent par épidémies, après des guerres et des catastrophes consécutives à des phénomènes naturels. L’agent causal est Rickettsia prowazekii  transmis par le pou de corps (Pediculus humanus) »

Les prisonniers passés par ce camp furent surtout français et russes. On estime à un peu moins de 30 000 leur nombre pour la période fin 1914-début 1919, avant la fermeture du camp.
Genealogie bazadais a mis en ligne une série de photographies sur le camp. L’image du lazaret, ci-dessous, où tant d’hommes moururent en ce printemps 1915, englobe d’autres baraquements et fait entrevoir à quoi ressemblait le camp. Celui-ci était en bois, d’autres étaient en toiles de tente (ainsi celui de Niederzwehren près de Cassel. cf. infra). Les grands bâtiments abritaient une grande salle avec une travée centrale et des châlits à deux étages de part et d’autre.Langensalza lazaretPour les familles de prisonniers, l’absence d’information a été une épreuve difficile. Avant que la Croix-Rouge n’ait été saisie par les autorités allemandes de ces camps, il pouvait se passer des mois sans rien connaître du sort du soldat, mois durant lesquels la crainte d’une issue fatale, d’une disparition définitive hantait les parents. 06_06_croix rougeQuand enfin ceux-ci savaient dans quel camp se trouvait leur enfant, leur mari, l’envoi d’argent et de colis pouvait être envisagé.
Les rumeurs les plus idiotes ont pu circuler sur ce qu’il était possible d’envoyer. Cet article de l’Eclair Comtois du 6 juin (ci-contre) parle d’interdit concernant les boîtes de conserves de crainte que l’ennemi en fasse des explosifs. Seules des visites assurées par des délégations de pays neutres ou de la Croix-Rouge pouvaient informer de la réalité de ces camps.. Le Suisse Gustave Ador, à la tête du Comité International de la Croix Rouge, s’y employa particulièrement avec la création de l’Agence Internationale des prisonniers de guerre.

Langensalza Frelet 30_04_ PCQuant aux annonces les plus terribles, les familles les apprenaient parfois par des lettres de camarades, sinon par la Croix-Rouge. Maurice FRELET, dont il est question dans cette courte nécrologie ci-contre, parue le 4 juin 1915, était originaire de la Cluse-et-Mijoux près de Pontarlier, il appartenait au 60e RI et la liste ci-dessous  montre que plusieurs hommes issus de ce régiment étaient à Langensalza. Frelet était prisonnier à Niederzwehren, près de Cassel, c’est à dire moins de 100 km à l’Ouest de Langensalza. C’était un autre camp de prisonniers important. Frelet y mourut aussi de maladie le 30 avril 1915 et comme ce camp connut  également une épidémie de typhus au printemps, ce fut certainement la cause de son décès.

Ci-dessous la liste des soldats inscrits dans le livre d’or des habitants de Besançon morts pour la France et morts à Langensalza. La plupart sont natifs de la ville, quelques-uns originaires de villages voisins. Mais tous  ont été recrutés dans la place militaire bisontine et souvent dans le 60e Régiment d’Infanterie.

Liste des soldats originaires de Besançon ou de villages proches morts de maladie à Langensalza (selon la base d’indexation au début mai 2015 – complétée par la suite)
– Buron Alphonse Stanislas. 03/04/1915
– Cormier, Félix, Camille. 13/04/1915
– Cupillard Ulysse, du 60e RI 05/03/1915 maladie
– Duxin Clément, 21/03/1915 du Typhus (voir Fiche plus bas).
– Ecarnot Louis JB, 60e RI. le 25/03/1915, maladie
– Guinchard Vital Felix, 60e RI, le 13/04/1915, du typhus
– Joux Paul, Eugène, 16 mai 1915, 60e RI de Besançon
– Metzger Henri, 45e BCP de Besançon.  le 17 mai 1915, à l’hôpital.
– Mullenbach Auguste du 60e RI, le19/04/1915
-Poncet Charles du 60e RI, le 26/04/1915
– Poucet Jean Maurice de Besançon, 60e RI, le 05/04/1915
– Queneuille Léon du 60e RI le18/04/1915
– Rebourt Charles Alexandre, de Besançon, 60e RI 16/04/1915, fièvre éruptive
– Régnier Victor F, du 60e RI Fièvre éruptive le 11/ 04/1915.
– Thévenin Victor, 60 e RI 18/04/1915. Diphtérie.
– Tièche Adrien, le 25/04/ 1915, de Besançon. 60 e RI, maladie
– Voynnet Charles, Ed, 60e RI, fièvre pétechiale. 24/03/1915
Vuillet Paul, 60e RI, 11/04/915 fièvre pétechiale.

On dispose d’assez peu de témoignages de prisonniers et leur sort, s’il n’a jamais laissé indifférent, ne fut pas glorifié comme celui des poilus restés dans les tranchées. On ne peut s’empêcher de faire une relation anachronique avec les prisonniers français des Stalags qui, 24 ans plus tard, seront 1.5 million et rentreront (pour ceux qui survivront) dans une indifférence encore plus grande. Eux seront humiliés car assimilé à la défaite de 1940. (L’auteur de Bandes Dessinées, TARDI, a rendu un superbe hommage très documenté à son père, Moi, René Tardi, prisonnier de guerre au Stalag II B.)

Pendant la grande guerre, de nombreuses œuvres ont été mises en place pour venir en aide aux prisonniers (cf. ci-contre); des souscriptions avaient lieu régulièrement. Langensalza PC 20_05 AMais les conditions de vie des prisonniers ne furent guère adoucies pour autant. Le travail forcé en kommandos dans des fermes ou des usines, la faim et les mauvais traitements, les maladies et épidémies eurent raison de nombre d’entre eux. Les colis envoyés par les parents étaient indispensables pour atténuer la faim permanente. Ils étaient rares et tous n’en bénéficiaient pas.

Il y’eut aussi des civils internés  à Langensalza. Le témoignage d’un agriculteur de Varredes (Seine-et-Marne) emmené de force à 63 ans le 08/09/1914 pendant la bataille de la Marne, montre ce que pouvaient être les conditions de vie en ce lieu. Extrait de  Rapports et procès-verbaux d’enquête de la commission instituée en vue de constater les actes commis par l’ennemi en violation du droit des gens (décret du 23 septembre 1914). Tome 2.  1915. (in Gallica Bnf)

Langensalza civil

Les civils venaient surtout des zones envahies par l’armée allemande.

Langensalza permet d’approcher l’univers concentrationnaire de la grande guerre du côté des camps allemands.  Dans les chemins de mémoire un résumé en a été fait.
Ceux qui sont morts durant leur captivité eurent droit aussi à l’appellation « morts pour la France », comme ceux  morts à l’assaut ou dans les tranchées… et ils le méritaient indéniablement.

Langensalza prisonniers allQuant aux prisonniers allemands (comme sur cette illustration extraite de Gallica Bnf), la presse locale n’en parle qu’en faisant de la propagande pour insister sur les bons soins qui leur auraient été accordés à la différence des mauvais traitements dont souffraient les prisonniers de l’Entente.

Source et Compléments avec le site chemins de mémoire

18 commentaires sur “Le camp de Langensalza …

  1. Mon grand père, Jean Marie RAVEAUD, originaire de Chalon sur Saône est mort du typhus à Langensalza le 7 avril. Nous avons des lettres très poignantes de ses camarades qui nous décrivent son agonie. Je suis à la recherche d’autres éléments sur ce camp. Pourriez vous m’indiquer où m’adresser? Merci!

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    1. Bonjour,

      J’ai une carte postale, que Jean-Louis dit Louis DEDIEU a envoyé à sa sœur (ma grand-mère maternelle) le 12/7/1917.
      Il était prisonnier au camp de Langensalza et appartenait au 5ème chasseur à pieds, 4ème compagnie n° 1865.
      Il est revenu dans sa ville de Limoges et s’est marié en 1919. etc ….

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      1. Mon grand père Gaétan AVINIER médecin militaire , prisonnier de guerre et interné dans un premier camp se porta volontaire pour aller à langensalza oules autorités allemandes demandaient des médecins pour soigner les malades ,
        Un tableau , réalisé par un ancien prisonnier de guerre, à la demande de l’association des anciens prisonniers de guerre de Grenoble dont il était le président d’honneur et qui lui fut offert, le représente aidant un malade alité dans un baraquement à rédiger sa dernière lettre.par la fenêtre on voit une sentinelle allemande qui passe.
        Mon grand père après la guerre a ouvert son cabinet d’ophtalmologiste à Grenoble mais il est décédé en 1934 des conséquences d’une tuberculose contractée pendant la guerre probablement au camp.

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      2. Merci pour votre commentaire
        Comportement généreux de votre grand-père, respectant bien le serment d’Hippocrate.
        Il eut donc à soigner beaucoup de prisonniers atteints du typhus.
        Si vous le souhaitez, je peux intégrer au billet de ce blog une image de ce fameux tableau dont vous me parlez avec un commentaire.

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      3. Bonjour
        Pourriez vous scanner cette carte ou la photographier ? je recherche pour illustrer la vie de mon gd père des cartes du camps où il fut prisonnier

        merci

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      4. Vous pouvez récupérer chaque document de ce blog en faisant un clic droit dessus et en sélectionnant « enregistrer l’image sous ».
        Si vous n’y parvenez pas, dites le moi, je vous enverrai une pièce jointe par mail.
        Cordialement

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  2. Bonsoir, je viens de consulter votre site internet. Voici un soldat franc Comtois à nommer: Guinchard Vital Félix né le 15/09/1881 Maison des Bois décédé au camps de Langesalza le 13 avril 1915 du typhus.
    Sur généanet mon identifiant barrand1
    Bien à vous
    Daniel Barrand

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  3. Bonjour,
    Mon grand-père Jules BIANCHERI, originaire de Carcès (Var) est décédé officielle-ment du typhus le 22 avril 1915 au camp de Lagensalza.
    J’ai appris par un ancien prisonnier de ce camp qu’il avait été fusillé pour l’exemple
    après plusieurs tentatives d’évasion.
    Quelqu’un aurait-il entendu parler de ces exécutions ?
    Cordialement

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    1. Bonjour
      Je n’ai pas entendu parler de ces fusillades pour l’exemple dans ce camp en 14/18, par contre il s’est produit une fusillade ampleur après l’armistice. Mais attention il faut prendre avec beaucoup de précaution cette fusillade du 27 novembre 1918 au travers tous les textes publiés sur le net. il faut se référer sur des bases solides. pour cela lire (en autres) le carnet du prisonnier Marcel DECUGNIERE, il a vécu ses tragiques événements, :
      http://www.chtimiste.com/carnets/Decugniere/decugniere.htm

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  4. Bonjour,
    Mon grand-oncle Gaston Théodore Papin, du Mans, était brancardier au 317ème R.I. Après avoir été cité à l’ordre du 317ème RI pour sa bravoure et avoir reçu la croix de guerre, il est fait prisonnier le 15 Juillet 1918 à Vandières (Marne), où son régiment a été anéanti et dissout trois jours après. Il a été envoyé au camp de Langensalza, puis rapatrié le 5 Janvier 1919.

    J’ai essayé de trouver des renseignements sur le site du Comité International de la Croix-Rouge (CICR), mais bizarrement, je n’ai pas trouvé le camp de Langensalza sur la carte des camps allemands de la guerre de 1914-1918.
    Cordialement
    Florence Cardon

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  5. Bonjour,
    Vous pourrez trouver des renseignements avec des listes d’internés sur :
    « Journal des internés français. Hebdomadaire illustré, publ. sous le haut patronage de l’Ambassade de France en Suisse… – 1916-1918 » sur https://gallica.bnf.fr/accueil/fr/content/accueil-fr?mode=desktop,
    Reherchez « Langensalza » pour faciliter l’identification du camp parmi les autres.
    Bonne recherche
    B. Jacquet

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