L’Éclair Comtois du 4 avril 1915
Il y a cent ans, la semaine sainte des catholiques correspondait, à un jour près, à celle de 2015. Pâques était un 4 avril, et c’est le 5 avril cette année.
La presse locale (Éclair et Petit Comtois) signale pour ce jour du 4 avril un calme général sur tout le front occidental. Pâques était fêté dans les deux camps amenant un bref répit dans les combats. En fait, il y eut tut de même des tirs et des morts
La semaine précédant ce dimanche pascal, celle de la passion de Jésus-Christ, inspire un rédacteur de l’Eclair Comtois (journal catholique) qui la compare aux souffrances que connaît la France depuis huit mois.
Et l’on trouve, dans ce journal, les références habituelles de cette religion du sacrifice. Il devient la justification de la mort de tant d’hommes, afin de la rendre plus acceptable par les vivants. Et l’on pense à quelques vers célèbres de Charles Péguy (Eve, 1913) :
« …Heureux ceux qui sont morts dans une juste guerre
Heureux les épis mûrs et les blés moissonnés… »
Mais l’auteur de l’article ne se cantonne pas aux morts et il parle également des blessés, affreusement déchirés et mutilés, osant ajouter : tous font bon marché de leurs peines ; passant ainsi au discours patriotique et nationaliste insupportable par la résignation qu’il implique ou l’adhésion générale à laquelle il veut faire croire. Il poursuit avec un parallèle total entre la France et Jésus-Christ injurié, méprisé, flagellé et couronné d’épines.
Et, évidemment, les Allemands sont chargés des comportements les plus barbares, tant à l’encontre des combattants que des femmes et des enfants ou bien du monument sacré de la cathédrale de Reims.
« Voilà bien pour la France le surcroît de cruauté que la Synagogue a imposé à Jésus. » Cette remarque antisémite dans laquelle le nom de Synagogue ne désigne pas le bâtiment où se rassemble la communauté juive mais cette communauté elle-même (comme l’Église désigne la communauté des chrétiens quand une majuscule marque l’initiale) ajoute aux responsabilités allemandes un rappel inadéquat et malveillant du rôle des autorités juives de Jérusalem dans la condamnation de jésus. Jésus, membre de la communauté juive, a été jugé par les siens. Mais pour la France de 1914-1915, en quoi la communauté juive pouvait-elle être responsable de ses souffrances ? D’autant que les Français de confession juive n’étaient pas épargnés par la guerre et payaient aussi de leur sang leur participation.
L’antisémitisme était toujours virulent chez nombre de catholiques.
Revenant sur le sacrifice des soldats, le rédacteur magnifie particulièrement celui des soldats chrétiens, même s’il prend soin de ne pas déprécier celui des non-chrétiens. Mais il se garde bien de tenter un parallèle avec le sacrifice des chrétiens allemands ou austro-hongrois, catholiques ou protestants, sachant qu’alors son discours n’aurait plus grande valeur, sa comparaison entre la passion de Jésus et les souffrances de la France ne pouvant plus être exclusive.
Pour terminer, l’auteur sous-entend que le renouveau du pays passera par une reconnaissance de la France catholique. Il considère que les idées républicaines auraient causé un déclin, une décadence du pays. Voilà quelqu’un pour qui la séparation de l’Église et de l’État, l’anticléricalisme et la déchristianisation ne passent pas. Il aspire à une France où le catholicisme redeviendrait la religion d’État, où le clergé serait puissant et influent. Et il voit, bien à tort, dans « l’union sacrée » le ressort de ce changement. Ce discours décliniste, appelant au retour à une pratique religieuse exclusive et générale est caractéristique d’une partie de l’extrême-droite de l’époque.