Le Petit Comtois du 9 mars 1915
Une fois de plus Charles Beauquier, en retraite de tout mandat politique, nous livre ses observations sagaces sur l’avenir de l’Europe. [Cf. le billet du 31 janvier et celui du 27 décembre où se trouvent six autres liens renvoyant aux articles où il est question de Charles Beauquier]
Comme beaucoup, Il considère que les nationalités composant l’Europe centrale devront obtenir leur indépendance au sein d’un État-nation ; il évoque ainsi le principe des nationalités.
D’emblée, il écarte de sa réflexion l’Afrique et l’Asie, ne voulant pas se poser la question des nationalités là où des colonies bafouent ce principe. Il ne veut pas voir que les peuples de ces pays dominés pouvaient aspirer aux mêmes droits.
Mais, en ce qui concerne l’Europe, il admet bien vite que l’application du principe de nationalité est discutable et de toute façon assez malaisé. Et pourtant, les nationalités serviront de référence,
au moins en partie, pour la nouvelle carte que les traités définiront en 1919-1923. Les quatorze points du Président américain Wilson résumeront cette idée en servant de guide de discussion.
Partant de ce qui fait la nation selon les pensées de l’époque, Beauquier se livre à une interprétation qui n’est pas sans rappeler la controverse entre les idées de l’allemand Johann Fichte au début du XIXe siècle et, a posteriori, celles du Français Ernest Renan en 1882, après que l’Alsace-Lorraine ait été annexée par l’Allemagne.
Pour Renan, la Nation implique un désir de vivre ensemble sur la base de valeurs communes et pas seulement sur la communauté de race et de langue comme le prétendait auparavant Fichte.
Ainsi, Beauquier admet-il que la nation française est faite de «races» différentes, basque, bretonne, provençale… mais qu’elles ont fusionné dans une patrie commune par leur volonté.
Pour la langue, il réfute, comme le faisait Renan, que cette caractéristique suffise à définir une nation, même s’Il faut entendre par langue, une culture au sens large. Il fait référence à la chanson d’Ernst Arndt (cf. video ci-dessous), écrivain et homme politique, dont les paroles appellent à un grand Etat national allemand, qui devrait inclure tous les peuples germanophones de l’Europe. Ce caractère linguistique et culturel servit de base aux exigences bismarckiennes dans la réalisation de l’unité allemande et en 1870 pour l’annexion de l’Alsace-Lorraine. Mais il fut aussi la référence constante des pangermanistes jusqu’en 1914.

La situation de l’Empire d’Autriche-Hongrie inquiétait nombre d’observateurs bien avant la guerre. [Articles du 9 janvier 2014 et du 22 mars 2014] Rassemblant des dizaines de nationalités, sa dislocation s’avérait préoccupante, car il n’était pas question d’accorder à chacune un territoire indépendant, faute de limites nettes entre chacune d’elles.
C’est ainsi que Beauquier conçoit une Roumanie élargie, y compris sur des territoires magyars, ignorant alors le ressentiment hongrois que cela pourrait provoquer. C’est bien ce qui sera en 1919.
La Bukovine, plus ukrainienne que roumaine, sera attribuée à la Roumanie en 1919. L’auteur s’interrogeait, en 1915, sur le sort à envisager pour ce territoire. De même pour le Montenegro, la Croatie ou l‘Herzégovine, tous devront intégrer le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes, la future Yougoslavie, satisfaisant les Serbes qui y domineront, mais moindrement les autres peuples.
La conclusion de notre homme politique comtois admet que les peuples minoritaires non indépendants devront voir leur langue et leurs coutumes respectées au sein d’États non oppressifs. Mais alors, cette nouvelle situation ne différera pas beaucoup du sort des minorités au sein de l’Empire d’Autriche-Hongrie, tout en balkanisant (fractionnant) tout de même l’Europe centrale.