Le Petit Comtois du 14 février 1915
Au début de la guerre, les autorités politiques et militaires étaient persuadées que la guerre serait de courte durée et rien n’était vraiment prévu pour un conflit long. En hiver 1914-1915, la vérité du conflit oblige à prendre des dispositions pour cette durée et la préoccupation de l’approvisionnement se pose chez tous les belligérants.
Sous le titre La reprise du travail, Charles-Maurice Couyba, sénateur de Haute-Saône, écrit une tribune dans le Petit Comtois du 14 février donnant une image générale de l’économie française et allemande à propos de leurs capacités à s’approvisionner.
Il est motivé par les mesures hostiles prises par l’Allemagne à l’égard des navires marchands naviguant dans les mers proches de France et Grande-Bretagne.
Couyba avait été ministre du commerce et de l’industrie dans le Gouvernement Caillaux, aussi pouvait-il prétendre à une certaine connaissance lorsqu’il participa au questionnement du ministre Gaston Thomson qui occupait alors la fonction.
Soulignant d’emblée que la France a la liberté des mers, il sait que l’approvisionnement est possible et qu’aucune pénurie grave ne doit affecter l’économie, encore faut-il pouvoir acheter, transporter et payer ce que l’on ne produit pas suffisamment. Toutefois, l’économie nationale doit être relancée car elle a été largement interrompue par la mobilisation et les armées ont été approvisionnées surtout par les réquisitions.
Et la première remarque faite par le ministre interrogé porte sur le rôle de l’État dans cette relance de l’économie. Il semble alors encore renoncer à trop intervenir au nom du libéralisme et se décharge sur les Chambres de Commerce. Mais il précise toutefois que l’État fera des avances remboursables après guerre. Le Parlement remplit sa fonction des questions au Gouvernement et déjà on perçoit sa méfiance sur son efficacité. Pour y répondre, le président du Conseil René Viviani appellera Albert Thomas, ce disciple de Jaurès, le 18 mai 1915, pour mieux organiser l’intendance et le ravitaillement militaire.
Privée d’une partie de ses territoires du Nord et de l’Est parmi les plus agricoles et les plus industriels, l’économie française devait donc être relancée efficacement et rapidement. C’est dans ce but que l’on rappela du front les travailleurs indispensables, spécialistes, cadres, entrepreneurs et ouvriers… C’est aussi pour cela que l’on poussa l’état-major à démobiliser les classes de Territoriaux les plus âgés, autant pour le travail agricole qu’industriel. D’où le malaise ambiant autour des embusqués et des petits malins qui profitèrent de l’aubaine pour échapper au front.
Les hausses des prix dont parle le ministre Thomson concernent trois productions qui dépendaient plus ou moins largement de ces régions : blé, sucre et charbon.
Pour le blé, la production nationale pouvait être assez facilement complétée par des importations et on pensait aux blés russes puisque l’État tsariste était un allié. Mais c’était sans compter avec la désorganisation de l’économie russe et avec la fermeture des accès maritimes directs entre les deux pays. L’Amérique devenait alors le continent vers qui se tourner. Mais le Sénat voyait d’un mauvais œil la pénétration du
marché français pour le blé et le sucre comme pour les viandes congelées.
On allait comprendre que ce choix était cependant inévitable.
Les matières premières industrielles manquantes portaient aussi sur de considérables tonnages. C’est pourquoi le ministre parle directement de la nécessité de rendre les ports accessibles à ces navires vraquiers permettant les importations de charbon.
La suite de l’article est un aperçu des difficultés allemandes pour l’approvisionnement alimentaire et pour celui des métaux qui entrent dans la fabrication des munitions et des armes. Le ministre trouve bon de se réjouir de l’ampleur des problèmes allemands rendus beaucoup plus graves par le blocus maritime. Mais cela ne peut dissimuler les dettes et les déficits français qui s’annoncent considérables. Emprunts intérieurs et extérieurs ont commencé.
La guerre est devenue économique. Elle est une guerre totale dont on ne fait qu’entrevoir tous les effets durant l’hiver 1914-1915. Ils s’avéreront encore plus compliqués et difficiles les années suivantes et particulièrement en 1917. Déjà le rôle accru de l’État se dessine et la dépendance à l’égard des pays neufs augmente la dette extérieure.