Les Petits Comtois des 20 à 25 juillet
Le Petit Comtois, malgré l’importance accordée au procès de Mme Caillaux, suit donc pas à pas le voyage du Président Poincaré et du chef de Gouvernement, M. Viviani, en Russie.
Dès le 20 juillet (cf. ci-contre), il montre que, côté russe, on tient tout particulièrement à célébrer l’alliance, non seulement parce qu’elle a 25 ans, mais parce qu’elle est fondamentale dans cette période à risque. Les sentiments, l’amitié, l’émotion sont de rigueur.
Commencée à Dunkerque avec le cuirassé la France bâtiment présidentiel, le 16 juillet, la navigation de la flotte française est suivie de près et l’on est étonné par cette remarque (ci-contre) dans le journal du 18 juillet lors du passage dans la Baltique allemande : le salut de la flotte allemande. En fait ce type de salut est de règle dans les marines du monde entier, les deux pays n’étaient pas encore en situation de guerre, même s’il s’en fallait de 15 jours.
Ci-dessous, le cuirassé la France au centre, en rade de Cronstadt.
Cronstadt où débarque la flotte, le Palais d’Hiver, Krasnoie Selo ville de villégiature du tsar au Sud de Petersbourg sont des lieux que les lecteurs du Petit Comtois avaient pu déjà découvrir dans des éditions de l’été 1912. Du 6 au 12 août de cette année-là, Raymond Poincaré, en tant que chef du Gouvernement, avait déjà fait un voyage en Russie dans le cadre de l’alliance franco-russe. Ces lieux pouvaient être vus dans des photographies que la presse a parfois reprises. Ces noms de lieux, les lecteurs les retrouveraient plus tard dans le contexte dramatique de la guerre et surtout de la révolution russe de 1917. Quant au séjour de la délégation française, il est encore imaginable avec une quantité de photos dont certaines ont une véritable qualité esthétique. (Cf. Ci-dessous)
Défilé d’artillerie devant le tsar et le Président Poincaré (source Gallica)
Défilé de cosaques (source Gallica)
La voiture de M. et Mme Poincaré devant les soldats de la Garde (source Gallica)
R. Poincaré, dans Comment fut déclarée la guerre, Flammarion 1939, a rappelé qu’il avait été question d’ajourner ce voyage après Sarajevo ; mais, préparé depuis 5 mois, concernant plusieurs pays scandinaves et pas seulement la Russie, son annulation n’était pas facile à décider et ne le fut pas. Il était clair que ce voyage allait renforcer l’alliance franco-russe et que l’on pouvait en profiter pour parfaire ou confirmer une stratégie contre l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie. Ainsi, les discours publics sont-ils
convenus, et le Président ou le tsar prennent soin de montrer leur attachement à cette alliance. On le voit dans celui de Poincaré (Petit Comtois du 22 juillet ci-dessus) au premier jour de la visite, comme dans celui du tsar (édition du 25 juillet, ci-contre), au moment des toasts de départ.
La collaboration militaire, la confraternité entre les armées sont soulignées. Et il ne faut pas se méprendre sur les rappels à l’œuvre de paix et de civilisation, à l’idéal de paix qui ne sont prononcés que pour disculper la Triple Entente en cas de conflit.
Dans le contexte de crise balkanique où l’Allemagne s’implique, cette rencontre de hauts responsables politiques et militaires français et russes ne peut qu’inquiéter les Allemands et les Autrichiens.
C’est pourquoi, une simple remarque comme celle qui paraît en page 3 le 25 juillet (ci-contre au bas de l’extrait) laisse entendre combien les propos échangés entre Russes et Français, le 24 juillet à Petersbourg, tenaient compte de ce qui se tramait à Vienne, Belgrade et Berlin.
Sergueï Dmitrievitch Sazonov, le ministre russe des Affaires étrangères depuis 1910, rencontrait alors des diplomates anglais, français, allemands et serbes. La situation évoluait plus vite qu’au début du mois et se tendait. L’ultimatum autrichien à la Serbie était lancé… Les membres des systèmes d’alliance adverses s’observaient.
À l’issue de cette visite, le tsar annonçait la sienne pour 1915… Il espérait donc échapper à un conflit long.