Le Petit Comtois du 28 mars 1914
L’importance du personnage lui vaut la une du journal.
Sa poésie et son engagement dans le régionalisme en font une référence. À lui seul, il incarne les tensions culturelles du XIXe siècle entre les progressistes peu soucieux de protéger les langues, modes de vie et traditions locales et les régionalistes sensibles à toutes ces beautés héritées et désireux de les entretenir et de les transmettre. C’est la Provence qu’il magnifia et l’on peut être surpris par la place faite dans le Petit Comtois à cet hommage pour quelqu’un qui n’avait rien de franc-comtois ou de bisontin.
Mais c’est que Mistral ne se contenta pas de versifier en provençal depuis son village de Maillane, de faire œuvre littéraire ; il fit revivre la langue occitane avec Lou Tresor dóu Felibrige (1878-1886), qui reste à ce jour le dictionnaire le plus riche de cette langue. Avec d’autres, il anima le mouvement des Félibriges, mouvement identitaire de Provence. Mais ce mouvement fut utilisé par des politiques réactionnaires, antijacobins, comme ceux de l’Action Française, même si Mistral se réclama plutôt d’un fédéralisme comme celui de Proudhon, personnage si cher à Besançon où il est né.
Ainsi, Mistral représentait-il plus qu’une littérature provençale : une volonté politique régionaliste qui trouva aussi des défenseurs chez des élus républicains.
Et, Jean Turquis, dans la chronique régionale, consacre ses Feuilles au Vent à Frédéric Mistral. Il donne à ses lecteurs le moyen d’honorer le poète avec l’éloquence de l’admirateur averti.
Pour mieux comprendre cet écrit élogieux, les premiers vers de Mireille permettent d’appréhender cette langue fraîche, simple et gracieuse.
L’ extrait ci-dessous, en provençal et transcrit en français, est tiré de Gallica Bnf
Turquis tient ensuite un langage intemporel tant il nous paraît correspondre aussi à notre époque. Tous ces agités…en notre temps de bluff et de battage…qui se dépensent en tout sens, se trémoussent, s’évertuent à accomplir de folles tâches pour que les échos répètent leur nom, mais l’oubli les guette…
Trop d’hommes et de femmes hier et aujourd’hui nous paraissent correspondre à ces caractéristiques.
Enfin, le chroniqueur termine par une annonce pessimiste sur la mortalité prévisible de la langue provençale. Il se trompe partiellement, car non seulement celle-ci conserve ses défenseurs, mais elle a aussi ses praticiens ; elle est enseignée et l’on estimait ses locuteurs (source INSEE) à 600 000 en 1999.